Deus ex Warhammer

Suite à mon investissement personnel dans l’infrastructure du JDR en ligne pour continuer de jouer pendant le confinement (cf ici ) , je dois dire que j’ai quelque peu délaissé l’aspect contenu de ce blog. Je profite d’une soirée calme pour le remplir un peu, avec mes réflexions et et méthodes sur la Religion dans le Vieux Monde.

Je trouve que le sujet des Dieux est toujours délicat dans les univers médiévaux-fantastique, et à fortiori dans les jeux de rôles, et il se résume souvent à des visions monolithiques, voir stéréotypés. C’est aussi vrai dans le Vieux Monde, et malgré le très bon « Tome de la Rédemption » de la v2, j’ai souvent vu (ou subi) des parties ou les prêtres de Sigmar étaient tous strictement identiques de droiture et d’honnêteté, et ou les Prêtres de Shallya se mettaient systématiquement en quatre pour soigner les premiers aventuriers venus, en mode travail à la chaîne.

Ces visions simplistes et applications de la Religion me hérissent le poil (d’Ulric) et me rende une expérience de jeu … foireuse, voir nurglesque. Un excellent article donne d’ailleurs des idées pour gérer le fait religieux dans les mondes med-fan : https://medium.com/flanc-%C3%A0-la-critique/mettre-en-sc%C3%A8ne-la-religion-dans-un-univers-classique-de-jeu-de-r%C3%B4le-c0f239b1649a

Dissection divine

Qu’est ce qu’un Dieu dans Warhammer ? Il n’y a pas de référence officielle – à ma connaissance – sur ce que sont les Dieux en tant qu’entité. Des Slanns ? Des supra-Elfes ? Des extra-terrestres ? Des dérivés des Dieux du Chaos ? En fait peu m’importe. Ce qui m’importe par contre, c’est le pouvoir effectif qu’ils/elles possèdent ou plutôt comment ce pouvoir est obtenu et comment il est « distribué ». Car en termes de jeu, des « pouvoirs divins » sont octroyés aux citoyens les plus dévots. Mais alors d’où vient ce pouvoir ?

La Colombe de Shallya inondant les tours d’Altdorf (peinture contestée par le culte de Sigmar, indiquant qu’il s’agit en réalité d’un pigeon pris dans la lumière éclatante de la comète à deux queues).

Ce pouvoir ne peut naturellement pas être absolu, car quel serait l’intérêt alors ? Shallya toute puissante : hop, plus de maladies. Verena ultime : plus besoin de chercher, toute la connaissance est .. déja connue. De plus, ils ne sont pas omniscients : là encore quel intérêt ? Sigmar verrait alors le moindre complot contre l’Empire et Warhammer n’existerait donc même pas. Les Dieux – si puissants qu’ils soient – ont donc des limites et sont même perfectibles. Mais pourquoi ?

Personnellement, j’utilise l’idée assez bateau et déjà évoquée pour Warhammer et d’autres univers, que le nombre de fidèles fait la force d’un Dieu, comme une sorte d’énergie psychique qui vient animer … quelque chose. Je vois donc la zone d’influence d’un Dieu comme le miroir de la répartition de ses fidèles et de leur nombre. J’emploie ici le terme « fidèles »en opposition à « croyants » : un fidèle est à mes yeux un parfait dévot, qui a une foi profonde dans sa divinité (ou ses divinités, d’ailleurs). Un croyant croit dans la divinité, certes, mais n’est pas spécialement dévot et ses réactions vis à vis de tel ou tel culte sont plus dictés par les coutumes ou ses intérêts personnels que par une vrai dévotion.

Cette notion est très importante pour moi, car elle dimensionne la structure de la religion et ses effets en jeu, et vient enlever l’aspect binaire souvent observé en ce qu’il concerne les Dieux et leurs cultes dans les JdR. Un excellent exemple peut-être tiré du non moins excellent roman « Les Petits Dieux » de Terry Pratchett, ou l’on voit le dieu Om, pourtant porté par une église toute puissante, s’incarner sous la forme d’une petite tortue car …. il n’y a plus qu’un seul vrai « fidèle » ! Tout les autres sont devenus des croyants, plus obsédés par leur pouvoir au sein de l’Eglise et dans le monde que par les préceptes de la divinité elle-même. Toute ressemblance ….

Un vaut mieux que Dieu tu l’auras

En partant du principe de bien différencier fidèles et croyants, je différencie également la foi et la religion. La foi, c’est l’adhésion aux préceptes et obligations de sa(ses) divinité(s). La Religion, c’est l’organisation humaine de cette foi : sa structure, son organisation, ses prêtres, ses chefs, etc. Et être religieux n’implique pas forcément d’avoir la foi, voir pas du tout.

Car c’est bien là tout le sel et la subtilité des religions : les entités religieuses ont une vie propre et quelque peu indépendante du Dieu ou de la Déesse elle-même. Et plus la religion est ancrée dans le monde réel (de Warhammer, s’entend) et y exerce des responsabilités, plus cette indépendance est présente. Le meilleur exemple est l’Eglise Sigmarite : à mon sens, elle est remplie de luttes intestines, de magouilles, de complots internes pour renverser ou discréditer tel ou tel Lecteur, d’oppositions dogmatiques et de tentatives pour renforcer son pouvoir séculier et/ou gagner plus de croyants. Et le Chaos – au sens Warhammer – n’a rien à voir là dedans, il s’agit simplement de luttes de pouvoir au sein d’une organisation qui en a.

Reihart Brummel, Lecteur de Véréna au Middenland sermonne Erik Handstromme pour les mauvais résultats financiers de son Temple.
Peu de temps après, une rumeur indique qu’une personne à l’identité secrète offre une bonne poignée de Couronnes pour quiconque trouvera un moyen de discréditer Reihart Brummel.

Et ce principe se décline à l’identique sur l’ensemble des cultes ayant une structure hiérarchisé et un pouvoir effectif sur le domaine séculier : Véréna, Shallya, Ulric, Myrmidia, Morr, etc. Fini donc les temples « monolithiques » ou tout les prêtres ont la même apparence et strictement le même comportement : cela n’existe pas ! Tel prêtresse de Véréna est attiré par le gain, tel autre couche avec un autre, tel prêtre de Shallya veut que les soins soient réservés aux plus riches, telle initiée d’Ulric ne rêve que de ridiculiser le Grand Prêtre de son Temple, etc. Ou encore le jeune et prometteur Lecteur Sigmarite Bert Schwerr n’est autre qu’une taupe envoyé par le clergé de Véréna pour siphonner les écrits disponibles dans les bibliothèques du Culte.

En résumé : à part quelques rares véritables fidèles, les membres d’un religion (au sens organisation) sont d’abord motivés par leurs intérêts personnels, et pas forcément les préceptes de leur Dieu. Bien sûr, certains d’entre eux sont de vrais dévots et se sentent vraiment investis dans leur foi. Mais cette foi vient se mélanger à leurs intérêts personnels, qui deviennent – à mon sens et pour l’intérêt du jeu – prédominants.

Cela veut donc dire que les temples qui sont joués comme des « guichets de services à PJs », que j’ai vu mis en œuvre dans pas mal de parties en 30 ans de JDR, n’ont à mon avis aucun sens et aucune raison d’exister dans le Vieux Monde. En tout cas pas chez moi 🙂

Le cul entre Dieux chaises

Cela ne veut pas dire que les Temples et la religion qui les contrôle ne peuvent pas assister ou aider les PJs, bien sûr.

Les Temples sont aussi des endroits « vivants » : célébrations, fêtes religieuses, processions, accueil de pèlerins, etc, etc.. les idées ne manquent pas, et vous pouvez en piocher dans l’excellent article cité plus haut. J’essaye donc toujours de rendre vivant les Temples visités, selon le moment de la journée et le Dieu concerné. Et selon ce qu’il se passe dans le Temple, l’accueil des personnages sera plus ou moins facile.

Célèbre reliquaire contenant les restes de Manfred Schloss, surnommé le Porteur de Rêve et Grand Prêtre de Morr de Carroburg au 22ième siècle.
Un procès est en cours contre l’Université de Médecine de Nuln qui a certifié que le reliquaire contenait en fait les restes d’un lapin.

Une fois passé toutes ces « barrières » (ie intérêts personnels des religieux et rites en cours), l’accès à des services de « prières » – je pense particulièrement aux Temples de Shallya – est excessivement restreint, voir impossible. Les PJs ne peuvent à mon sens y avoir accès que sous des conditions élevées : dons importants (on parle en CO), services rendus pour l’Eglise (ou pour les intérêts personnel d’un prêtre, justement) ou personnage religieux reconnu et apprécié.

Autrement dit : toute demande d’intercession divine demandé par des PJs dans un Temple reçoit par défaut une réponse négative. Ensuite, naturellement, cette réponse négative est à moduler par les actions des PJs : dons d’argent, services rendus, etc, etc. Mais cela reste exceptionnel, et pas la règle.

Dieux précautions valent mieux qu’une

Comme je l’ai exposé plus haut, les Eglises (toujours au sens organisation) sont globalement à la recherche de pouvoir : plus de croyants, plus de temples, plus de confort, plus de reliques, plus de …. tout ce que vous voulez. L’argent est donc un moteur extrêmement puissant pour les organisations religieuses et leurs serviteurs.

L’Initié de Véréna Edmund Gurgen chasse les Marchands devant l’entrée du Temple, pour cause de concurrence déloyale.
Le Temple offre 10% de réduction sur les amulettes sur présentation de cet article

Ceux qui, dans notre monde à nous, ont voyagé en Asie ou en Inde notamment ont pu le constater. J’ai été ainsi souvent extrêmement sollicité dans des temples Hindous pour faire différentes donations, acheter des bibelots ou encore payer pour avoir une marque du Dieu/Déesse sur le front. Les « marchands du Temple » sont donc bien réels (et ils font même parti du Temple eux-mêmes), et ainsi en est-il dans le Vieux Monde à mon avis. Les personnages sont donc constamment sollicités au sein des Temples pour recevoir telle ou telle bénédiction (qui n’a strictement aucun effet sur le jeu), acheter une copie de relique ou encore tout simplement effectuer un don pour avoir leur nom tout en bas d’une plaque en mémoire de tel ou tel évènement lié au Dieu/Déesse.

Les idées ne manquent pas, et tout est là pour inciter les visiteurs à faire don de leur argent en échange de … rien ! Il est certain que trop de ‘rien’ va au final inciter les joueurs/personnages à ne plus se faire bénir ou autre. C’est là naturellement qu’entre en jeu le rôle du MJ : en de rares occasions que vous décidez, le personnage ainsi béni bénéficie d’un petit bonus (un +20 ? un point de chance « gratuit » ?) lors d’un jet en lien avec la déité visitée. Cela doit rester rare, et si possible mystérieux, au moment ou le joueur fait son jet. Par exemple, pour un personnage ayant versé une grosse somme à un Prêtre de Taal : « ton personnage ressent comme une présence, comme si ses gestes étaient assistés : il reçoit +20% pour son test de Discrétion (Rurale)« . On peut aussi utiliser des visions la nuit suivante. En saupoudrant de manière aléatoire et rare ces évènements, on maintient une superstition bienvenue, et le doute dans dans l’esprit des joueurs/personnages.

Vous m’en mettrez Dieux

Cette ambiance de course au pouvoir et à l’ambition personnelle au sein des Eglises offre de plus une mine inespérée de scénarios, sans aucun lien avec les cultes et autres complots chaotiques. Un très bon exemple peut être trouvé dans la campagne « Gathering Darkness » de Mad Alfred ( http://www.madalfred.com/ ), ou les personnages découvrent une ancienne branche dissidente du culte de Sigmar qui pense que le culte actuel se fourvoie.

Dans une campagne, j’avais également exploité l’idée d’anciens Dieux oubliés : que priaient les toutes premières tribus humaines par exemple ? Et si, au fin fond des forets du Talabecland, une croyance ancienne subsistait et que ce Dieu était toujours présent sous une forme ou une autre ?

Autre exemple : les PJs sont envoyés dans un village du Middenland pour racheter une relique de Rhya. Mais sur place, les villageois, sous couvert du culte de Rhya, attribuent en fait cette relique à Misella, une ancienne déité locale des moissons. Et il n’est pas question de s’en débarrasser. Que feront le PJs lorsqu’ils découvriront que la relique qui leur est remise semble toute neuve, comme fabriquée la veille ?

Les Dieux font la paire

En conclusion, dans mes Temples du Vieux Monde :

  • Le clergé est par défaut motivé en premier lieu par son ambition personnelle/globale, et ensuite – éventuellement – par les règles et préceptes de son Dieu. Des exceptions existent, mais ces exceptions ont justement du mal à se faire une place au sein de l’organisation,
  • Chaque Temple a ses rituels, ses fêtes, ses reliques et ses minis-lieux de pèlerinages. Rentrer deux fois de suite dans un même Temple de donne jamais la même scène,
  • Le clergé n’est pas au service des personnages, c’est l’inverse !
  • Rien n’est acquis,
  • L’organisation est administrative, lourdingue et empesé de règles,
  • L’argent (ou les dons assimilés) y est roi.
Pour quatre Pistoles par croyant, le Grand Prieur de Sigmar du temple d’Averheim vous offre la bénédiction de la comète.
Les rumeurs persistantes qui disent qu’il s’agit d’un acteur sont naturellement blasphématoires.
Une remise de 1 Pistole est cependant octroyé sur présentation de cet article également.

Vous allez probablement me dire que c’est assez noir comme tableau. Et bien oui, c’est le Vieux Monde ! Mais c’est justement dans cette ambiance un peu glauque que, au détour d’une visite à un Temple, apparaît alors un vrai Prêtre fidèle et dévôt, venant éclairer subitement la vie des PJs, comme un rayon de soleil inespéré !

Voilà ! Publié le 15/01/2021, sans la caution de Sigmar.

Ce contenu a été publié dans Warhammer v4. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Une réponse à Deus ex Warhammer

  1. Kalaan Mikkossevaar dit :

    Excellent article, bien loin des caricatures de temples que je propose souvent à mes joueurs. Merci beaucoup pour ton travail.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.