C’est un sujet qui me trotte dans la tête depuis un moment, surtout à la lecture régulière de questions et de remarques concernant cette campagne (abrégée CI dans les paragraphes suivants, pour économiser de l’encre). Ayant fait jouer cette CI deux fois en version Warhammer v1, et ayant une instance en cours en v4, je prends finalement la plume pour mettre noir sur blanc quelques recettes, idées et critiques qui me sont venues au fil du temps. Tout ce ceci ne reflète donc que mon expérience et mon opinion personnelle, à chacun d’en faire ou pas ce qu’il le souhaite.
Tout d’abord, la CI, si elle souffre naturellement de défauts qui relève souvent du goût personnel de chacun, reste tout de même pour moi un excellent moment, mélangeant voyages, enquêtes, bagarres et secrets cachés. Il n’en reste pas moins que c’est un gros « morceau », et que l’aborder sans la préparer (c’est à dire y consacrer plusieurs heures) est à mon avis une grosse erreur, d’où ces quelques idées ci-dessous.
Si vous êtes joueuse/joueur, ne lisez point plus bas, car du divulgâchage d’informations peut apparaître. Enfin, si vous êtes MJ, tout ceci sera peut-être une redite ou déjà connu, c’est bien possible, et vous m’en verrez for marri – et désolé.
De l’état d’esprit nécessaire
Tout d’abord, la CI est une campagne au long cours, et il faut donc que vos joueuses et joueurs aient envie de s’y plonger pour probablement quelques années. Effectivement, même en jouant au rythme effréné de 6 heures par semaine sur 52 semaines, je ne suis pas complètement certain que la campagne puisse être bouclée en 1 an. Cela concerne également votre capacité de MJ à vouloir le faire, bien sûr, mais surtout des joueurs.
Il faut également que les joueurs aient un intérêt pour les enquêtes, et soient prêts à suivre parfois des pistes un peu dirigistes, et donc implicitement de « jouer le jeu ». Si vous avez l’habitude de vos joueuses et que vos parties partent en grand n’importe quoi rapidement, la CI (et en générale toute campagne au long court d’ailleurs), n’est probablement par pour elles/eux.
De la motivation des PJs
Ensuite, et je pense que c’est un élément systématique des longue campagnes, il faut relier les PJs a l’intrigue et leur donner un intérêt personnel à parcourir l’Empire à la poursuite de vils complots. Cela parait peut-être évident, mais il me semble que ce point est primordial, car il m’est souvent arrivé de lire que la CI avait été abandonnée car les joueurs ne « savaient pas ce qu’ils faisaient là » ou « n’avaient pas d’intérêt à poursuivre tel ou tel objectif« . C’est tout à fait normal à mon sens si un soin particulier n’a pas été porté au début de l’aventure sur l’intégration des PJs à la campagne (ou tout au moins aux premiers scénarios).
Il n’y a pas de recette magique à mon avis, mais voici quelques idées :
- exploiter le background des PJs : en regardant le background des personnages, cherchez à voir s’il n’y a pas matière à les relier aux cultes de la Main Pourpre et/ou de la Couronne Rouge, par exemple. Sans les nommer à ce stade bien sûr. Ou si ils ont une vengeance à assouvir, et que cette vengeance pourra justement se régler en suivant un fil rouge au sein de la campagne. Ou un appât du gain, etc.
- adapter le background des PJs: si vos joueuses sont de bonne compagnie, elles/ils devraient être ouverts à des propositions de background. Glissez donc des éléments d’enquête, de vengeance ou d’information les reliant à des évènements futurs ou des PNJs de la campagne (typiquement tirés de l’Ennemi Intérieur ou de Mort sur le Reik).
- exploiter les carrières « corporatistes » : un certain nombre de carrières font que les personnages sont membres de « corporations » au sens large : patrouilleurs, sorciers, répurgateur, gardes, …. Utilisez alors leur « patrons » du moment pour explicitement leur donner des ordres en lien avec les premiers épisodes/chapitres de la campagne.
Sur mes instances précédentes et en cours, voici par exemple ce qu’il s’est passé :
- Toute première fois, toute toute : En cette fin d’années 80, nous étions jeunes, insolents et drôles et … avides d’aventures. Aussi, les amis de lycée avec lesquels j’eus l’honneur de maîtriser la CI ne furent pas difficiles à convaincre de suivre la piste de la campagne. Mais lors de Mort sur le Reik, il se produisit un évènement imprévu : les joueurs s’éprirent de commerce fluvial et commencèrent à monter une société commerciale, avec comptoirs, etc. J’avais donc mis en place un peu de contexte économico-commercial, et géré cet aspect du jeu. Mais pour ne pas perdre le fil, j’avais rapidement intégré des « adversaires » commerciaux souhaitant supprimer ces nouveaux concurrents. Et ces adversaires commerciaux étant liés à la Main Pourpre/Couronne Rouge (je ne me rappelle les ficelles en détail), j’avais pu faire d’une pierre deux coups : donner de la liberté à mes joueurs, en leur faisant vivre leur aventures commerciales, mais en même temps les rattacher à des « complots » issus de la CI. Cette itération fut l’occasion d’insérer « Il y a quelque chose de pourri à Kislev » juste après Middenheim et de finir sur l’Empire En Flammes, qui me laissa (à moi en tant que MJ) un sentiment très mitigé (cf plus bas concernant les défauts de la CI).
- Seconde itération : peu de temps plus tard, alors étudiant à Bordeaux, je reprenais le flambeau, avec une équipe plus disparate pour ne pas dire hétéroclite – voir perpendiculaire. Au travers d’une révélation Sigmarite, j’eus le sentiment que l’aventure pouvait partir en quenouille rapidement. J’avais alors modifié les backgrounds pour mettre l’ensemble du groupe sous le « contrôle » d’un noble de Carroburg (au hasard) qui souhaitait avoir des informations sur la guilde des marchands de Bögenhafen. En chemin, les personnages allaient naturellement rencontrer Kastor Liberung (enfin son cadavre), comme prévu dans la CI, mais avec du coup un double motif d’aller à Bogenhafen. J’avais ensuite fait assassiner ce « patron » par la Main Pourpre, en représailles des actions des PJs durant Mort sur le Reik. Ceux-ci avaient alors conçu une rancune tenace envers les auteurs du meurtre – leur némesis – : les conduire à Middenheim, en Kislev et dans l’Empire pour le final avait alors été un jeu d’enfants. A noter qu’en parallèle, cette équipe s’était mise en tête de former une sorte d’agence de détectives à l’échelle de l’Empire, façon Pinkerton, agence qu’ils avaient pu établir à Altdorf et Middenheim. Le temps nous étant compté, je n’avais pas intégré le crochet Kislévite dans cette itération. Par ailleurs assez refroidi par l' »Empire en Flammes », j’avais alors bidouillé une fin différente en me basant sur le séquencement officiel, mais en changeant pas mal de choses et en alternant enquêtes et combats. Je n’ai malheureusement pas conservé tout ces précieux manuscrit de l’époque, ce que je regrette un peu.
- Jamais deux sans trois : c’est à l’occasion de la conjonction stellaire de la ré-édition de la CI pour Warhammer v4 et d’un groupe de joueurs – pourtant des vioques – n’ayant jamais vu cette campagne que j’ai remis le couvert. Cette fois, il s’est trouvé un peu par hasard que les backgrounds des 3/4 personnages mettaient en lumière un fort sentiment de justice (ou de rétablissement la justice). Exploitant cette opportunité et étant donné que ces joueuses/joueurs ont un brin de bouteille, j’ai donc ajouté intégré fil rouge : la Couronne Rouge pilote un trafic d’orphelins à l’échelle de l’Empire, trafic destiné à alimenter tout tas de cultes divers et de pratiques douteuses. Mes joueuses sont donc – de leur point de vue – en train de démanteler un gigantesque trafic d’enfants, et c’est la leur motivation primaire. Si un quidam se trouvait à leur demander ce qu’est la CI, une de leur réponse – à l’heure actuelle – serait la lutte contre un trafic ignoble ! Ce trafic m’aide d’ailleurs à établir des ponts entre la Main Pourpre et la Couronne Rouge, ce qui est bien pratique pour justifier les actions de certains PNJs. Certes, le sujet est à manipuler avec précautions selon votre groupe, naturellement, mais on pourrait remplacer ce trafic par un autre.
Dans les 3 cas ci-dessus, j’ai donc « modifié » la campagne, en injectant dans les motivations des cultes/PNJs une nouvelle « couche » : guerre commerciale, assassinat d’un puissant ami/mécène ou encore trafic d’enfants. Mon conseil à 3 pistoles : il ne faut surtout pas avoir peur de le faire. Ces « surcouches » scénaristiques ne changent en rien le déroulé général de la CI, elles viennent juste apporte une coloration qui va assurer la motivation de vos personnages à poursuivre l’aventure.
J’ajoute que cette surcouche scénaristique pour le groupe peut venir en supplément de motivations individuelles particulières, à établir au cas par cas.
De l’attache et du lien
Loin de moi l’idée de parler bondage dans ce paragraphe, mais plutôt du lien régulier qu’il faut à mon avis entretenir entre l’intrigue et les évolutions/souhaits des personnage. Je conseille notamment de prêter l’oreille aux idées des joueuses et à leur désir d’évolution, pour s’en servir ensuite.
Concernant les idées, il va fréquemment arriver que votre table émette des hypothèses tout à fait réalistes et plausibles sur tel ou tel PNJ ou tel ou tel « complot ». Si ces hypothèses tiennent la route, sont logiques, et que la trame générale de la campagne n’en est pas changée violemment, il est souvent intéressant de rendre ces hypothèses réelles. Cela valide les déductions des joueurs, apporte un sentiment de satisfaction et introduit un peu de variations dans la campagne pour vous en tant que MJ.
Ensuite, la CI étant longue, vos personnages vont certainement changer de carrière : écoutez les discussions des joueurs et leur désirs. Et lorsque le moment est propice, injectez le PNJ qui va répondre à leur attente. Notez que vous n’êtes pas obligé de faire exactement ce que le joueur souhaite, vous pouvez lui proposer une piste équivalente qui vous arrange.
Exemple : dans mon itération actuelle, l’un des PJ est un débardeur Halfling du Moot, avide de revanche pécuniaire et sociale. Il a donc émis plusieurs fois l’idée de « grimper » dans la hiérarchie sociale. Je lui ai donc fait rencontrer un recruteur des Patrouilleurs Fluviaux, qui lui a proposé un rôle d’inspecteur indépendant des structures portuaires du Reik. Par cette petite astuce à 2 sous, j’ai donc rempli deux objectifs : lui donner satisfaction avec un statut social reconnu et me permettre – en tant que MJ – de lui donner des ordres, avec une motivation supplémentaire pour arpenter le Reik.
Des carrières et de leur utilité
J’en ai déjà parlé plus haut, mais les carrières – surtout si elles sont d’ordre « corporatistes » – sont d’excellents moyens pour faire bouger les personnages dans telle ou telle direction. J’ai souvent lu que ces carrières (ie soldat, patrouilleur, marchand de guilde, ….) sont difficiles à justifier dans une aventure : je m’inscris en faux. Ce sont d’énormes opportunités pour donner aux joueurs des motivations ou obligations en lien avec la CI. Un esprit chagrin de l’Ostermark me rétorquera probablement : « ben oui, mais comment justifier qu’un marchand de Grunburg se balade le long du Reik? ». En bon Averheimais pragmatique, je lui répondrais que sa Guilde – par exemple – le missionne secrètement pour voler des secrets commerciaux et faire un état des lieux des bonnes pratiques. Ou encore que la Guilde vient de se faire spolier par un noble de Middenheim et qu’il faut s’y rendre immédiatement (motivation pour le Pouvoir Derrière le Trône, s’entend).
D’une manière générale, quand un PJ progresse dans sa carrière ou en change, mon conseil est de tout de suite essayer de voir quel « avantage » le MJ peut en tirer au sein de la campagne.
De l’emplacement des choses
Selon comment l’aventure évolue, il ne faut pas hésiter à changer les localisations de lieux. Pas envie d’aller à Bogenhafen : tout se passe à Grunburg. Grissenwald est loin sur le Reik et le groupe de personnages goûte fort peu la navigation fluviale : déplacez l’épisode de la tour d’Etelka à proximité de Kemperbad. Cela demande un brin d’adaptations bien sûr, mais si vous sentez que le dynamisme de l’aventure en a besoin ou que cela remettrai discrètement votre équipage sur les rails, n’hésitez pas !
Si vos personnages s’entêtent dans ce qui est définitivement une fausse piste, ne vous braquez surtout pas. C’est le moment à mon sens ou il faut écouter leurs raisonnements, comprendre pourquoi ils explorent cette piste à fond et …. la transformer en vrai piste. Cela évitera de renforcer l’idée d’une campagne sur « rails », vous donnera un peu de grain à moudre – c’est toujours motivant – et vous permettra d’injecter des indices qui les mèneront à la prochaine étape. Profitez en pour exploiter l’un des multiples scénarios indépendants disponibles parmi ceux de la v1, v2 ou v4, en le relocalisant au bon endroit et en modifiant le dénouement pour leur faire récupérer le fil de la CI.
Exemple : Après Bogenhafen, suite à la lettre de Etelka Herzen, les PJs peuvent être persuadés que la suite se joue à Nuln. Si ils s’obstinent, vous pourriez alors placer à Nuln l’aventure « Masssace à Spittlefield » (Aventures à Ubersreik Vol.1), en faisant en sorte que Etelka soit l’organisatrice de l’épidémie pour pourrir la ville de l’intérieur. A sa capture ou défaite, elle remettrait alors les documents permettant aux PJs de reprendre la piste de l’observatoire et des collines stériles.
De la critique
La CI est souvent critiquée, en bien ou en mal. Avant de la maîtriser, il faut naturellement qu’elle soit à votre goût. Si en tant que MJ vous y allez à reculons, c’est certain que rien n’ira vraiment bien. Au fil des années, j’ai relevé trois reproches principaux.
Le premier concerne la « linéarité » de l’aventure, baladant en quelque sorte de manière un peu obligatoire les personnages de A en B. C’est ma foi assez vrai, et c’est le lot de beaucoup de campagnes. Cependant, la CI, si on y regarde de plus près, est assez hybride. Les voyages du début de l’Ennemi Intérieur et de Mort sur le Reik sont assez linéaires, c’est un fait. Mais par contre, les aventures à Bogenhafen et Middenheim sont des vrais bacs à sable, avec beaucoup de possibilités à explorer en parallèle. Même « Mort sur le Reik » peut être remanié pour varier les choix des joueurs, même si cela demande certes plus d’efforts. Mais d’une manière générale, oui, la campagne est prévue pour mener l’équipage à un dénouement précis. Si vous n’avez goût que pour les bacs à sable purs et durs, vous ne trouverez pas votre compte ici.
Le second concerne les jonctions entre les 3 premiers éléments de la campagne, qui sont pour le moins ténus. Ainsi, à la sortie de l’épisode de Bögenhafen, c’est une unique lettre qui indique aux joueurs la piste d’Etelka. De même, à la fin de Mort sur le Reik, c’est également une lettre – assez difficile à trouver qui plus est – qui met l’équipe sur la piste de Middenheim. Ces défauts présent dans la v1 n’ont pas spécialement été gommés dans la v4. Il convient à mon avis de préparer en amont des éléments supplémentaires que les joueurs pourront trouver. Ainsi, à Bögenhafen, des débardeurs du port pourraient par exemple assurer que du matériel « étrange » a été livré au Teugen par une dame appelée Etelka, etc. De même, après la chute de Wittgenstein, les PJs pourraient fortuitement rattraper le docteur Rousseaux, qui s’empressera de révéler qu’il s’enfuit vers Middenheim ou il espère obtenir protection, etc.
Et le troisième concerne l’Empire en Flammes de la v1 (ie le dernier tome de la CI), qui est en deçà du reste des volumes, avec un aspect assez « D&D bourrin » dans son déroulé. Comme le sentiment était globalement partagé, un fan a conçu à l’aube des années 2000 « L’Empire en Guerre » (Empire at War en VO : http://www.madalfred.com/Scenarios.html), beaucoup plus abouti et nettement plus dans l’esprit WFRP. J’ai eu l’occasion de le lire, mais jamais de l’exploiter. Enfin, notons que ce défaut est gommé en v4, avec « l’Empire en Ruines » qui est un mix de l’Empire en Flammes et de l’Empire en Guerre. A la date ou je vous parle, je n’ai pas encore fait jouer cet épisode, mais je l’ai parcouru et il me semble de bon aloi, bien au dessus de son ancêtre de la v1 en tout cas.
Quicumque lusit , poterit reprehendere
Finalement, même si vous avez des doutes sur son interêt sur le long terme, vous pouvez parfaitement la démarrer, exploiter ses éléments et bifurquer à tout moment vers une campagne personnelle, soit car tel ou tel épisode ne vous sied point, soit car votre équipe ne s’y retrouve pas. C’est d’ailleurs un point fort de cette campagne – au moins dans les 3 premiers gros chapitres – c’est de pouvoir s’en échapper si tout va mal et d’embrayer facilement sur autre chose.